De mon incapacité d'écrire
Une balançoire sommaire accrochée au cerisier en fleurs : deux cordes vertes, un siège de vieux métal au vernis rouge écaillé.
Comme souvent, je suis assise sur la balançoire dans le jardin de mes grands-parents, cherchant sous le cerisier un peu d'ombre, car le soleil est écrasant au milieu de l'après-midi.
J'ai sept ou huit ans et, bercée par le lent va-et-vient, les mains accrochées aux cordes, je suis dans mes pensées. Je pense à tout et à rien, et au milieu du tout et du rien une phrase surgit, aux jolies sonorités et aux mots naïfs et doux, une phrase qui en appelle une autre, qui rime et à laquelle s'enchaînent les suivantes, qui riment également. Alors je saute de ma balançoire et je cours chercher du papier et un stylo, et je transcris fébrilement ce qui me vient, il m'est facile de trouver des rimes et les phrases coulent avec naturel.
Quand j'ai mis le point final à ma chanson, ravie, je l'apporte en courant à ma mère. Essoufflée, j'arrive auprès d'elle et lui tends fièrement mon bout de papier, maman, j'ai écrit une chanson, et, souriante jusqu'aux oreilles, j'attends les félicitations.
Des hurlements. Elle me hurle dessus. Plus précisément, elle gueule, elle m'engueule comme une merde. "Espèce de menteuse, ce n'est pas toi qui l'as écrit!" Je fonds en larmes, entre deux sanglots je proteste. Elle maintient. "Arrête de mentir, tu n'as pas écrit ça!".
Depuis, je l'accuse de mon incapacité d'écrire.